Faits :
Un homme camerounais, reconnu comme réfugié en Italie, est arrivé en Belgique le 11 novembre 2017. Après avoir initialement introduit une demande de protection internationale en Belgique, il a décidé, le 22 juillet 2020, de déposer une demande sur base de l’article 9ter de la loi de 1980. Cette demande a été déclarée recevable mais non fondée le 27 avril 2021. En recours devant le Conseil du Contentieux des Etrangers (CCE), cette décision a été annulée, mais l’Office des Etrangers (OE) a de nouveau déclaré la demande non fondée le 24 novembre 2023. L’intéressé a introduit un nouveau recours devant la CCE contre cette décision. Entre-temps, il a obtenu, le 24 avril 2024, une autorisation de séjour à durée limitée de 2 ans sur la base d’une demande 9bis de la loi de 1980, introduite le 5 décembre 2022.
Discussion :
Avant d’examiner le fond du recours, le juge a mis en question l’intérêt du recours, étant donné que le requérant disposait déjà d’une autorisation de séjour à durée limitée sur la base de l’article 9bis de la loi de 1980 au moment de l’examen du recours. La partie requérante a plaidé qu’il conservait un intérêt à l’examen de son recours, en faisant valoir que les conditions de prolongation d’un titre de séjour sur la base de l’article 9ter diffèrent de celles d’un séjour obtenu via l’article 9bis. De plus, en cas de non-renouvellement de son autorisation de séjour fondée sur l’article 9bis, il ne pourrait plus introduire une nouvelle demande sur la base de l’article 9ter pour les mêmes raisons médicales. Le Conseil a suivi cette argumentation et a estimé que l’intérêt du requérant était suffisamment démontré.
Le dossier révèle que l’OE a examiné la disponibilité et l’accessibilité des soins médicaux dans le pays de séjour du requérant, à savoir l’Italie. L’OE a conclu que les soins médicaux y étaient disponibles et accessibles pour l’intéressé. Concrètement, le requérant est séropositif. Le diagnostic a été posé lors de son arrivée en Italie, mais aucun traitement ne lui a été administré sur place. Depuis son arrivée en Belgique, il a pu commencer un traitement antirétroviral et bénéficie d’un suivi médical chez un médecin spécialiste tous les quatre mois.
La partie requérante soutient que les soins médicaux ne lui sont pas accessibles en Italie. Il souligne que son infection au VIH n’a pas été prise en charge en Italie, car il a rencontré des difficultés d’accès aux soins, en raison de son statut de réfugié et de la barrière linguistique. Le Conseil se réfère à l’arrêt Paposhvili de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui impose aux États membres de mener une analyse approfondie de l’accessibilité réelle des soins médicaux dans le pays de retour. Or, l’avis médical du médecin de l’OE repose sur des sources générales, sans apporter de preuve concrète que le requérant aurait réellement accès aux soins nécessaires en Italie.
Le Conseil souligne que le système de sécurité sociale italien couvre principalement les travailleurs et que le requérant, en tant que réfugié reconnu avec un statut de séjour temporaire, n’a pas droit à l’aide sociale. De plus, l’accès aux soins médicaux en Italie est conditionné à l’inscription à une adresse de résidence, une exigence que le requérant ne peut pas remplir, étant un réfugié sans-abri. L’hypothèse selon laquelle il pourrait trouver un emploi pour financer ses soins n’est pas étayée par des preuves. Enfin, le Conseil relève que l’argument selon lequel le requérant n’a pas soumis d’attestation médicale d’un spécialiste pour prouver son incapacité de travail constitue une justification a posteriori (post hoc), qui ne peut légitimer la décision initiale.
Le Conseil conclut également que la partie requérante a suffisamment étayé ses difficultés d’accès aux soins de santé, en s’appuyant sur des sources fiables. Le rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) d’août 2016 démontre que, en Italie, les demandeurs de protection internationale et les réfugiés rencontrent des obstacles structurels dans l’accès aux soins médicaux et au logement. Le rapport met en évidence plusieurs difficultés (obstacles administratifs et financiers, manque d’information, barrières linguistiques) qui complexifient les suivis médicaux. En outre, il est souligné que de nombreux réfugiés vivent dans une extrême pauvreté, souvent sans logement stable ou dans des squats, ce qui entrave encore davantage l’accès aux soins de santé.
Le médecin de l’OE n’a toutefois pas répondu de manière approfondie aux problèmes spécifiques soulevés par la partie requérante, ce qui est contraire à la jurisprudence Paposhvili de la CEDH. De plus, le Conseil confirme que la charge de la preuve concernant l’accès à un traitement médical adéquat ne repose pas uniquement sur le requérant. Il revient aux autorités de dissiper tout doute quant à une éventuelle violation de l’article 3 de la CEDH, qui interdit les traitements inhumains et dégradants.
Par conséquent, le Conseil conclut que la décision est insuffisamment motivée, ce qui conduit à l’annulation de la décision contestée
> CCE n°313.675 du 27 septembre 2024
> Voir aussi le rapport d’OSAR de 2021 sur l’accueil des DPI et des réfugués en Italie