Cette problématique est loin d’être nouvelle : la variabilité de la durée des cartes médicales soulève depuis longtemps des interrogations chez les bénéficiaires, les médecins et les chercheurs.
Citons notamment :
- le rapport du KCE ‘Quels soins de santé pour les personnes en séjour irrégulier ?’ (2025), qui préconisait la standardisation de la durée de validité de la carte médicale à un an ‘si aucun élément de fraude (contredisant ouvertement les déclarations du demandeur) n’était détecté lors de l’enquête sociale’ ;
- ou le Mémorandum d’organisations du secteur social et médical dans le cadre des élections de 2024 qui réclamait quant à lui des cartes médicales d’une durée de minimum trois mois, renouvelables facilement.
Il apparait donc que quelque chose d’important se joue autour de cette question.
Voyons comment la Cour des comptes analyse le problème, en commençant par ses constats préliminaires :
« La législation ne limite pas, dans le temps, l’accès aux soins dans le cadre de l’AMU. Toutefois, dans Mediprima, la durée d’une carte médicale est, dans les faits, limitée à 365 jours. »
« En 2022, dans Mediprima, la durée des cartes médicales variait de 1 à 365 jours (…). Les cartes couvraient en moyenne 82 jours (avec une médiane de 87). Cette moyenne cache de grandes disparités. Par exemple, 5 % des cartes (4.531 des 89.051 cartes) duraient 1 jour ; 24 % (21.466) couvraient au maximum 30 jours et 3 % (2.561 cartes) entre 360 et 365 jours. L’analyse des données par CPAS montre qu’une partie des CPAS suivent une règle propre et que leurs cartes couvrent toujours la même durée (1, 3 ou 12 mois, par exemple), tandis que la durée des cartes d’autres CPAS varie entre bénéficiaires ou entre cartes médicales d’un même bénéficiaire. D’après la même analyse de données, dans un CPAS où la durée des cartes médicales est particulièrement variable, une personne a reçu 21 cartes médicales sur une période de plus de 300 jours : les cartes se suivaient sans interruption de date, parfois pour 1 ou 2 jours. Dans le même CPAS, une autre personne a reçu 16 cartes médicales, dont 13 de 2 jours sur une période de 11 mois, avec des interruptions entre les cartes. »
Ces exemples interpellent. Pourquoi certains CPAS choisissent-ils de délivrer des couvertures de seulement quelques jours alors que les assistants sociaux ne sont pas formés pour évaluer les besoins médicaux ? Comment justifier la charge administrative de l’encodage à chaque fois d’une nouvelle décision dans des services débordés, en particulier en Région bruxelloise où les difficultés de recrutement de personnel sont bien connues ?
La Cour a interrogé différents CPAS afin de comprendre ces pratiques et identifie deux explications plausibles :
- L’urgence : pour une première demande urgente, un CPAS pourrait délivrer une carte de courte durée, le temps de finaliser l’enquête sociale. Cette justification ne résiste toutefois pas à l’analyse car de nombreuses cartes de courte durée ne seraient pas des premières cartes (ce qui signifierait qu’une enquête sociale a déjà été réalisée).
- Le contrôle des conditions : Certains CPAS craindraient que la personne ne remplisse plus les conditions de l’AMU et utiliseraient les renouvellements fréquents pour vérifier la situation.
La Cour met toutefois ces arguments en perspectives et rappelle plusieurs éléments essentiels :
- Certaines maladies (VIH, TBC…) nécessitent un traitement continu. Limiter la durée de l’accès aux soins compromet directement la continuité des soins.
- Une décision limitée dans le temps signifie que l’accès aux soins a été déterminé à l’avance par le CPAS, alors qu’il n’est pas compétent en matière de santé.
- Encoder une seule carte médicale d’un an est plus simple administrativement que d’en encoder plusieurs.
La position de la Cour : un changement logique
« La limitation a priori de l’accès aux soins s’expliquerait par la nécessité de renouveler l’enquête sociale, alors que l’inverse correspond mieux à l’esprit de la loi : un accès aux soins qui n’est pas limité a priori dans sa durée, mais qui s’arrête dès que l’enquête sociale conclut que la personne n’est plus dans les conditions. En pratique, cette deuxième approche diminue les démarches administratives, puisqu’une seule décision et un seul encodage sont nécessaires pour un bénéficiaire. Elle ne diminue pas le contrôle des conditions que doit remplir le bénéficiaire, puisque le CPAS doit vérifier tous les 3 mois (voir le point 3.3.3) si le bénéficiaire remplit toujours les conditions de l’AMU. Le CPAS n’a pas besoin de rendre une nouvelle décision à chaque vérification, sauf si cette vérification conclut que la personne ne remplit plus les conditions. »
De ce constat découlent deux recommandations majeures :
- Recommandation 5 : Accorder l’accès aux soins à durée indéterminée et prévoir un contrôle trimestriel du respect des conditions de l’AMU dans le chef du bénéficiaire
- Recommandation 6 : Supprimer, dans les systèmes d’encodage, la possibilité de limiter la durée de l’accès aux soins
Cette vision constitue un changement de paradigme audacieux auquel Medimmigrant adhère pleinement. Nous espérons qu’elle inspirera les CPAS, et surtout le SPP Intégration Sociale, qui nous semble l’acteur le mieux placé pour en assurer la mise en œuvre concrète.


